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Télétravail et restauration

Dans les trois articles de loi définissant et encadrant le télétravail, l’article L1222-10 du Code du travail définit certaines des obligations de l’employeur envers ses télétravailleurs. Comme nous l’avons vu, les ordonnances travail de septembre 2017 ont amputé cet article de deux alinéas. L’un concernant les horaires (qui se trouve maintenant dans le L1222-11) et l’autre concernant les coûts directement liés au télétravail. Nous avons fait le point concernant les horaires, mais que peut-on dire sur le matériel et les services ?


En fait, beaucoup de choses. Comme nous le verrons dans un article ultérieur, l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 dans son article 7 aborde ce sujet et la loi ayant été modifiée en ne mentionnant plus d’obligation, c’est désormais lui qui s’applique sur ce sujet selon le consensus actuel. Avant d’attaquer ce gros morceau (en incluant les remboursements et les forfaits), regardons de plus près une spécificité en situation de télétravail : le traitement de la restauration collective. En entreprise on peut bénéficier de tickets (ou titres) restaurant ou même de self sur les grands sites.

Pour rappel, un « titre-restaurant » est « un titre spécial de paiement remis par l'employeur aux salariés pour leur permettre d'acquitter en tout ou en partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté auprès d'une personne ou d'un organisme mentionné au deuxième alinéa de l'article L.3262-3. Ce repas peut être composé de fruits et légumes, qu'ils soient ou non directement consommables. » (Article L3262-1 du Code du travail).



Au sein d’une entreprise, on peut rencontrer trois situations.


Aucune restauration collective sur site, ni ticket restaurant.

Télétravailler, dans un tel cas, ne devrait pas changer grand-chose. Sauf dans un cas spécifique assez pointu. Imaginons que l'entreprise ait négocié établissement par établissement certains avantages... dont les tickets restaurant. Certains établissements ont des tickets, d'autres pas...

La mise en place du télétravail crée une nouvelle population qui met en lumière cette différence. En effet, il peut être délicat de justifier des statuts de télétravailleurs différents au sein de la même entreprise.


Un accord peut illustrer cette complexité: celui de GRID SOLUTIONS SAS. En effet, GRID SOLUTIONS SAS semble avoir cette configuration avec des établissements dont les salariés bénéficient de tickets restaurant et d'autres pas. Cette entreprise, dans son accord, choisit d'étendre la distribution de tickets restaurant aux télétravailleurs des établissements dont les employés n’en bénéficient pas à la date.

L’accord télétravail de cette entreprise précise "Par ailleurs, les parties conviennent que des tickets restaurants seront attribués au télétravailleur pour chaque journée en télétravail régulier ou occasionnel." ce qui jette les bases du fonctionnement.

L'accord précise ensuite "Dans les établissements attribuant déjà des Titres Restaurant, chaque salarié en télétravail recevra les Titres Restaurant selon les conditions définies localement." ce qui est assez classique jusqu’ici.

Cependant, le dernier paragraphe gère la vraie difficulté: « Dans les établissements ne disposant pas d’attribution de Titres Restaurant, la part pris en charge par l’employeur sera de 60%, celle du salarié de 40%. La valeur faciale et unitaire du Titre Restaurant sera établie sur la base du plafond maximum d’exonération fiscale fixé par les URSSAF à la date de signature de l’accord. »

Cette entreprise choisit donc de ne pas créer de distorsion de traitements entre télétravailleurs, mais elle crée, si je le lis correctement, une potentielle différence entre ceux qui télétravaillent et ceux qui ne télétravaillent pas. Ces derniers bénéficient peut-être de restauration collective sur leur site de rattachement, ce qui expliquerait la solution retenue.

Cependant, quelque soit la situation, une analyse de cohérence de fonctionnement au niveau des différents établissements d'une même entreprise est indispensable. Le télétravail créant une population qui fonctionne de manière identique quelque soit l'établissement, les considérer différemment peut devenir délicat.


Pas de ticket restaurant, mais une restauration collective existe sur le site de rattachement principal du télétravailleur.

Dans un tel cas, le salarié bénéficie du financement partiel de son repas en particulier à travers la « part patronale » quand il travaille sur son site de rattachement principal. C’est alors le salarié qui choisit d’en bénéficier ou pas. Pour en bénéficier, il doit prendre son repas dans le self de l’entreprise.

Le télétravailleur, puisqu’il n’est pas sur site par définition, ne peut bénéficier de cet avantage durant ses jours de télétravail.


L’entreprise distribue des tickets restaurant

Ce cas est plus complexe car il a fait l’objet d’un débat dont on peut voir les traces sur les sites officiels. Nous prendrons l’exemple du site de la commission nationale des titres restaurant (CNTR) qui répond à la question « Les salariés en télétravail peuvent-ils se voir attribuer des titres-restaurant ? ».

La réponse est « oui ». C’est une obligation dans le cas où l’entreprise en distribue aux autres salariés. En effet, si la question s’est posée du droit à avoir une partie de son repas payée par son employeur quand on est chez soi, l’accord (ANI) du 19 juillet 2005 sur le télétravail précise dans son article 4 que les télétravailleurs « bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise.». Cette phrase a d’ailleurs maintenant été incorporée dans l’Article L1222-9 « Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l'entreprise. ». Du coup, le télétravailleur bénéficie, selon ce principe, comme un autre salarié ne télétravaillant pas, de tickets restaurant. A noter que, comme on vient de le voir, cet article est quasiment impossible à respecter dans son esprit si l’entreprise a installé un restaurant d’entreprise. Cela fait partie des casses-tête potentiels dans la "vraie vie".

Le principe peut donc paraitre relativement simple, sauf que la Cours de Cassation est venue préciser certains points (voir le billet publié en 2016 à ce sujet).

Un arrêt du 20 février 2013 la Cours de Cassation admet que l’employeur qui n’est légalement pas tenu de mettre en place des titres-restaurant peut, s’il décide d’y recourir, en fixer librement les modalités d’application, à condition que celles-ci reposent sur des critères objectifs et n’entraînent aucune discrimination entre les salariés.La Cours de Cassation a stipulé que l’employeur peut cependant prévoir une tarification différente en fonction de l’éloignement entre le lieu de travail et le domicile des salariés, cette pratique ne pouvant pas être considérée comme discriminatoire (Cass. soc. 22-1-1992 n° 88-40.938).

Le second arrêt est relativement ancien (1992).

La règle est donc que dans un tel cas, les salariés bénéficient des mêmes avantages sociaux que les non-télétravailleurs. Il en va de même pour les chèques vacances. Les entreprises permettant à leurs salariés de bénéficier de titres de transport choisissent également majoritairement de garder cet avantage en l’état en cas de télétravail partiel.



Accords

Regardons ensemble comment certains accords récents traitent de ce sujet. Sur 654 accords, 140 (21,4%) consacrent un passage à la restauration.

Exemples de maintient de l'avantage

C’est, et de loin, la catégorie la plus représente dans les accords. Nous citerons juste quelques-uns des passages de ces accords. Les formules sont légèrement différentes, mais ont toutes les mêmes bases.


INRS : « Le salarié en situation de télétravail bénéficie des mêmes droits collectifs légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’INRS, notamment concernant les tickets restaurant qui sont maintenus. »


KEOLIS SA : « Le salarié en situation de télétravail bénéficie des mêmes droits individuels que les autres salariés de l’entreprise, notamment en matière de formation professionnelle, de déroulement de carrière, d’entretiens professionnels et de politique d’évaluation. De même, en matière de restauration, les collaborateurs bénéficiant de titres restaurant lorsqu’ils travaillent dans les locaux de l’entreprise en bénéficieront également lorsqu’ils seront en situation de télétravail. »


EXFO SOLUTIONS : « Le télétravail ne remet pas en cause l’acquisition de tickets restaurant. Le télétravailleur continuera donc à bénéficier d’un ticket restaurant lors de chaque jour télétravaillé. »


EPIC Eau de Paris : « Dans la mesure où la journée du télétravailleur est organisée en deux vacations entrecoupées d’une pause réservée à la prise d’un repas, le salarié bénéficiera d’un titre restaurant via son Pass restaurant pour cette journée. »


UMANIS S.A « Le collaborateur en situation de télétravail bénéficie des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux autres collaborateurs de l’entreprise (EAE, suivi de mission, entretien professionnel, accès à la formation professionnelle, tickets restaurant, déroulement de carrière, accès à l’information syndicale, etc.). »


SOCOMEC S.A.S. fait de même en choisissant la double négation « pour les personnes bénéficiant des tickets restaurants, la journée de télétravail ne donne pas lieu à minoration du nombre de tickets restaurants alloués. »


Exemple de retrait de l'avantage

Même si cette catégorie, en théorie, ne devrait pas exister pour les raisons exposées précédemment, Carrefour semble avoir choisi cette approche. Le raisonnement est probablement basé sur l'arrêt de 1992 de la Cours de dans ce Cassation, en argumentant qu'il n'y a pas d'éloignement entre le lieu de travail et le domicile. Ce raisonnement n'est cependant pas explicité dans le texte de l'accord.

Carrefour Hypermarché, a signé un accord récent (en septembre 2017) « En revanche, le jour travaillé à domicile ne donnera pas lieu à titre restaurant pour les collaborateurs en bénéficiant habituellement lors des jours travaillés en entreprise. Il est toutefois expressément convenu que dans l’hypothèse d’une évolution légale contraire à cette disposition, intervenant pendant la durée d’application du présent accord, l’entreprise se conformera à cette disposition légale. »

Sans surprise, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE S.A.S et CARREFOUR PARTENARIAT INTERNATIONAL SAS utilisent la même approche « En revanche, le jour travaillé à domicile ne donnera pas lieu à l’attribution de titre restaurant, subvention repas ou prime de panier pour les collaborateurs en bénéficiant habituellement lors des jours travaillés en entreprise. Il est toutefois expressément convenu que dans l’hypothèse d’une évolution légale contraire à cette disposition, intervenant pendant la durée d’application du présent accord, l’entreprise se conformera à cette disposition légale. » pour l’un et « Le collaborateur en télétravail bénéficie des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. En revanche, le jour travaillé à domicile ne donnera pas lieu à titre restaurant pour les collaborateurs en bénéficiant habituellement lors des jours travaillés en entreprise. » pour l’autre.




Conclusion

Comme on peut le voir, un sujet d’apparence simple comme celui-ci peut se révéler, en fait, assez complexe. Les situations de départ, ainsi que les options choisies par les entreprises peuvent être très différentes.

Des pratiques se dégagent. Néanmoins, et même si économiquement les temps sont durs pour beaucoup d'entreprises, la question de fond est plus sur l'esprit dans lequel l'entreprise aborde le sujet. Si c'est pour diminuer les coûts, il existe d'autres leviers possibles en mettant en place le télétravail. Si c'est pour mettre en place un mode de travail innovant, diminuant les déplacements, apprécié par les salariés et construire une nouvelle politique RH attractive, il est probablement bon de choisir ses batailles.


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