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Télétravail et fonction publique : état des lieux

Comme nous l’avons vu, la loi actuelle, modifiée par les ordonnances travail de septembre 2017 ont changé jusqu’à la définition française du télétravail. Néanmoins, une catégorie de salariés ne dépend pas des 3 articles du Code du Travail (Article 1222-9 à 1222-11).

Il s’agit des salariés de la fonction publique pour lesquels le télétravail est défini par décret (décret n° 2016-151 du 11 février 2016). Celui-ci détermine les conditions d'exercice du télétravail dans la fonction publique. Il est donc antérieur aux modifications de septembre 2017 du Code du travail. La fonction publique est donc une situation différente (en particulier, le caractère « régulier » de la définition du télétravail est toujours en vigueur) dans son approche du télétravail. La situation est donc intéressante à comparer au secteur privé avec les multiples formes de télétravail qui s’y développent. Pour rappel, ces multiples formes font que les statistiques varient de façon très conséquentes, même si une étude IFOP de janvier 2018 réalisée pour le comptoir mm de la nouvelle entreprise mentionne 25% de télétravailleurs en France, dont 6% seulement sont contractualisés (voir ci-dessous).


Télétravail dans les entreprises privées et taux de satisfaction

La fonction publique

Patrice Azan a été chargé en mars 2018 par la Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique (DGAFP) de faire le point sur le télétravail dans la fonction publique. L’auteur a rendu son rapport, riche en enseignements, il y a peu.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que Patrice Azan a également présenté ses conclusions lors de Journée sur le thème du télétravail qui a réuni plus de 50 agents des collectivités franciliennes dans le domaine RH au CNFPT Pantin le 10 janvier 2019. Cette présentation contient des informations supplémentaires par rapport au contenu du rapport.

Ce rapport a reçu un écho dans la presse sur BFM et est repris dans de nombreux articles comme la Rédaction Weka, de Préventica, de la CEGAPE ou d'autres.


En fait, une façon de comprendre le contenu du rapport, est de commencer par la fin (page 37). Ce passage met en effet en avant un des référentiels de comparaison choisit par le rapporteur. Dans la Fonction Publique belge, le bilan statistique montre que 66% de la population du ministère des finances télétravaillait en 2018. Il est donc inutile d’aller chercher dans une culture telle que celle des pays scandinaves, si souvent citée en modèle concernant le télétravail, pour trouver des taux élevés de cette pratique.

Pour la France, on télétravaille nettement moins dans la Fonction Publique :

  • en 2016, seulement 1,6% de la fonction publique télétravaillait.

  • Le dernier chiffre connu de l’enquête DSAF (Direction des services administratifs et financiers) sur le périmètre de l’administration territoriale de l’État (ATE) donnait 4,65 % d’agents télétravailleurs en mars 2018.

  • Patrice Azan, s’appuie sur un échantillon de 1022 agents pour conclure que 11,6% des agents de la fonction publique télétravaillaient en 2018. Il faut reconnaitre que cela représente potentiellement une augmentation impressionnante (10x plus de télétravailleurs en 2 ans). Rappelons quand même que ce taux reste proche du taux de télétravailleurs dont le statut est contractualisé dans le secteur privé (9%). On concèdera que lorsqu’on met tout cela en perspective, le taux de télétravailleurs reste faible.

La progression du taux (quasiment x10) en deux ans, fait écrire à Patrice Azan qu’« Au vu des différentes mesures réalisées, l’augmentation significative entre 2016 et 2018 du nombre d’agents télétravailleurs dans les services de l’État s’expliquerait en partie par l’effort de communication et d’accompagnement des services demandeurs, réalisé par les PFRH au moyen de réunions d’information des personnels, des réunions informelles avec les représentants des personnels, des réunions à destination des cadres – réunions parfois animées au moyen d’outils ludiques de sensibilisation, mais aussi via la messagerie et l’intranet. ».

Parmi les diapositives présentées au CNFPT (Centre National de la Fonction Publique Territoriale) à Pantin par l'auteur, on trouve en particulier, une diapositive intéressante sur les taux de télétravail dans 18 structures de la Fonction Publique en fonction de la maturité de la démarche et de la culture organisationnelle.


Positionnement de 18 structures de la Fonction Publique pour le télétravail

Les freins

Même si les télétravailleurs de la Fonction Publique apprécient leur situation du fait de "la réduction de la fatigue liée au temps de transport et la diminution du stress lié à l’urgence du quotidien", il reste de nombreux freins identifiés. On retrouve comme frein tout ce qui tourne autour de l’humain et du matériel, bien entendu. Ces « classiques » que l’on peut observer également au sein des entreprises. Impréparation des organisations, des personnes elles-mêmes, et du management. En effet, cette forme de relationnel a tendance à rendre indispensables des pratiques relationnelles qui sont habituellement "seulement" porteuses de productivité et bien-être au sein des organisations. Ainsi, « Beaucoup d’encadrants, réfractaires au télétravail, avance l’importance du relationnel dans leur management :« je crois beaucoup au contact, à la relation ». D’autres encadrants expriment des craintes quant au volume de travail réalisé et lie fortement présence au travail et effectivité du travail. ». Ces affirmations, peuvent être être reliées à des modes de management, d'intégration, de fierté d'appartenance et de niveaux d’autonomie au sein de la fonction publique qui demanderaient formations et sensibilisation. Jeter les fondements d’une situation porteuse pour le télétravail demande des efforts, des gens qui aiment ce qu'ils font, et d'atteindre entre les acteurs un niveau suffisant de confiance. Rappelons également que tout le monde (manager ou candidat au télétravail) n’est pas « naturellement prêt » à vivre un relationnel à distance, même occasionnellement.

Un télétravail de qualité se fonde sur la confiance et l’acquisition d’une d’autonomie, voire d'une capacité à une forme d’intra-entrepreneuriat. Cela demande des efforts, des organisations bienveillantes et matures, mais est facilité par une motivation des demandeurs en particulier à bénéficier de ce levier de performance et bien être.

Cependant deux difficultés supplémentaires méritent qu’on les mettent en avant. La première est liée à la définition actuellement plus rigide du décret que celle désormais en vigueur dans le Code du Travail. Il faut aussi composer avec le fonctionnement de la Fonction publique, à travers les Arrêtés dans lesquels chaque organisme rajoute des spécificités.


Les lieux

A titre d’exemple, le rapport mentionne dans un de ses passages que « … certains arrêtés ministériels ont exclu toute possibilité pour l’agent d’exercer dans un autre lieu que le domicile ou l’autorisent de façon exceptionnelle. C’est ainsi le cas de

  • l’arrêté ministériel pour les services du Conseil d’État et des juridictions financières : « le télétravail s’exerce au domicile principal de l’agent dont l’adresse est précisée dans la décision individuelle d’autorisation des fonctions en télétravail » ainsi que de

  • l’arrêté ministériel du Ministère des Affaires étrangères : « sauf exception dûment motivée et autorisée, le télétravail est effectué au domicile de l’agent ».

  • L’arrêté ministériel pour les agents d’administration centrale des services du Premier Ministre autorise le télétravail dans un télécentre public agréé ce qui exclut de fait les espaces privés de coworking. ».

Le fonctionnement même de la Fonction Publique crée donc une situation complexe qui ralentit probablement la mise en œuvre et le suivi du télétravail. De fait, n’oublions pas que le télétravail est principalement exercé au domicile du télétravailleur comme le confirme de nombreuses enquêtes. Cependant, la fonction publique bénéficie également d’un réseau de proximité qui serait intéressant d’exploiter, éventuellement.

Autre exemple, le rapport cite (page 26) la situation d’agents de préfecture qui souhaiteraient télétravailler dans une sous-préfecture proche de leur domicile mais qui ne sont pas considérés comme télétravailleurs au sens du décret, pour le coup... Le rapport ne dit malheureusement pas si les agents peuvent malgré tout bénéficier de cette facilité (et ne sont simplement pas comptabilisés en tant que télétravailleurs), ce qui serait un dommage moindre, ou si cette situation est carrément « interdite ».

D'un autre coté, il est vrai que l'on considère souvent la Fonction Publique comme une seule entité. Mais si on considère la diversité des branches, on a plutôt affaire à une galaxie de cultures et d'organisations qui pourraient être chacune l'équivalent d'une entreprise séparée. Sous cet angle, les arrêtés très divers sont un peu l'équivalent des accords d'entreprises qui se multiplient en nombre, mais aussi en diversité de contenu.


La lourdeur de la procédure de demande

Parmi les freins identifiés, la lourdeur de la procédure de demande de télétravail est également pointée du doigt. A noter cependant qu’un effort louable de simplification de cette déclaration a été entrepris.

Là aussi, le parallèle avec ce que l'on rencontre parfois encore en entreprise est saisissant.



Conclusion

Certes, la situation de la Fonction Publique, si on y regarde de plus près est comparable à la situation d'une bonne partie des entreprises privées en France. Cependant, il est des situations où l’État serait bien inspiré de s’appliquer un principe d’exemplarité.

Dans le domaine des engagements en faveur de l’environnement, le respect de l’Article 75 du Grenelle 2 (article L. 229-25 du Code de l'environnement) est un exemple connu de non-respect de la loi par ceux-là même qui l’ont instauré. Les collectivités territoriales ont ainsi un taux incroyablement faible (entre 13% et 19%) de la déclaration obligatoire tous les quatre ans, alors que les entreprises privées (qui ne se bousculent pas non plus au portail pour respecter cette obligation basique de déclaration d’émission de gaz à effet de serre), atteignent quand même de 58%. Bien triste constat…

Concernant le télétravail (qui est une mesure environnementale, sociale, sociétale et financière ...), le gouvernement, à travers la loi travail, a clairement voulu simplifier l’accès des travailleurs du secteur privé au télétravail en élargissant la définition de ce mode de travail et en simplifiant le recours au télétravail (un peu trop diront certains).


Pourquoi ne pas faire de même, alors pour la Fonction Publique ? Aligner le décret sur les articles du code du travail et travailler les soft skills dans les organisations afin de favoriser l’autonomie et la confiance pour déboucher sur une performance accrue seraient des démarches de bons sens semble-t-il. Surtout que la fonction publique offre, en plus du télétravail à domicile et le coworking, la possibilité de profiter d’un réseau de proximité avec lequel seules de rares entreprises privées peuvent rivaliser.

Si les fonctionnaires du Ministère des Finances Belge sont effectivement 66% à l’heure actuelle à pouvoir exercer une forme de télétravail, avec en moyenne un jour par semaine et un fort taux de satisfaction, cela devrait permettre à la fois aux entreprises privées et aux fonctions publiques françaises de se poser la question de la maturité de notre gestion de la force de travail dans nos organisations.

On peut espérer que 2019 soit une année charnière pour la Fonction Publique avec plus d'expérimentations, une adaptation du télétravail à chaque organisation et un accroissement de la satisfaction des agents et des managers.


Merci. Photo titre Pexels (Moose photos)

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